L'adieu à M.

L'adieu à M.
Aujourd'hui Cian a tenu à me parler de M.
Selon ce qu'il m'a dit, M. va mourir bientôt et les larmes réprimées de Cian m'ont montré que cela le touche beaucoup plus qu'il n'y paraît en public. Cette fois encore, je me contente de répéter ses paroles :

"M. est une personne que j'ai rencontrée tout au plus 5-6 fois dans ma vie, étalées sur 40 ans. Les dernières sont assez récentes, quelques mois. Des invitations, un déménagement pour un appartement plus adapté... Le reste de ce que je sais d'elle me vient de ses proches. Il se peut donc qu'il y ait des erreurs dans mon récit mais il est globalement fidèle à son histoire.



M. est l'aînée d'une famille ni riche ni pauvre, dont les parents ont pour caractéristiques d'être des catholiques convaincus, un père qui a souvent changé d'affectation, c'était la règle dans son milieu professionnel, une mère qui a, de ce fait, peu travaillé et qui s'est plongée dans la tenue de son foyer et la lecture.

Son père est, de mon point de vue, sympathique au premier abord, une grande gueule, un "bon vivant", mais toujours content de ce qu'il a fait, imposant son avis comme si c'était la seule vérité possible, aimant s'écouter, fier d'être lourd, une sorte de tartarin, tout ce que je fuis vous voyez ? Une belle voix aussi, grave et profonde, dont il aurait pu se contenter pour chanter de beaux cantiques, mais qui lui a servi également à hurler contre ses enfants quand ils étaient jeunes.
Sa façon de les élever était donc de leur gueuler dessus, ça j'ai pu le constater, c'est sans doute comme ça qu'il a été élevé lui-même et même pire, son propre père étant réputé caractériel et très violent.

De la maman de M., je n'ai pas grand chose à dire si ce n'est qu'elle m'a semblé plutôt gentille et effacée, en admiration devant son mari, acceptant sans broncher ses excès.

Tout ça est assez classique si on se rapporte à l'époque, mais cette éducation patriarcale et bornée n'a pas permis à M. d'aborder la vie dans de bonnes conditions. Elle a échappé au carcan familial comme elle a pu, plus ou moins volontairement, c'est classique aussi.
M. s'est retrouvée enceinte très très jeune. Elle a gardé l'enfant, la contraception et plus encore l'avortement étant des tabous dans un milieu où la religion domine l'esprit. Je ne sais d'ailleurs pas si elle l'aurait souhaité. Elle s'est mariée avec le père de son enfant, en a fait d'autres assez rapidement.
Le couple n'a pas tenu très longtemps, je crois que lui a eu des "aventures" ou bien qu'il est parti. Ils ont divorcé et elle a eu la garde de ses enfants.

Malgré cette charge, M. a travaillé, suivi une formation, et elle est tombée enfin réellement amoureuse d'un homme un peu plus âgé qu'elle, amoureux d'elle aussi, mais déjà marié et qui n'a jamais eu le courage ou la volonté ou la possibilité, ou les trois, de lui offrir une relation pleine et entière. M. et lui ont donc vécu leur amour pendant des années de façon épisodique et cachée. Il me semble qu'elle s'est résignée à mettre fin à cette liaison il n'y a pas si longtemps.

La maladie s'est emparé de M. il y a quelques années et maintenant c'est la fin. Ce que je veux ajouter, c'est que malgré une vie qui n'a pas été facile, M. est une personne de caractère, courageuse, rayonnante et gentille, une bonne mère sans doute, une femme qui a essayé de s'épanouir, de trouver son bonheur, qui a ouvert son esprit.

C'est quelqu'un de bien qui s'en va..."