Anne Sexton, 45 Mercy Street

Anne Sexton (45 Mercy Street)
Anne Sexton, 45 Mercy Street - Encre, café, aquarelle et gouache sur A4 180g
Musique : https://youtu.be/-H5Gr1ddfbo (Peter Gabriel - Mercy Street)

Aujourd'hui Cian m'a montré un portrait. Celui d'une jeune femme et voici ce qu'il m'a expliqué :


"Je l'avoue, avant-hier encore je n'avais pas la moindre idée de qui était Anne Sexton (de son vrai nom Anne Gray Harvey). C'est venu de fil en aiguille en réécoutant Peter Gabriel depuis quelques jours. Parmi toutes ses chansons, "Mercy Street" est une des plus émouvantes même sans en comprendre vraiment les paroles, ce qui est mon cas. Comme souvent ses textes sont très poétiques, difficiles à interpréter avec mon anglais insuffisant et les douteuses traductions d'internet...

Portée par une musique crépusculaire, doucement chantée comme une prière sans espoir, je la perçois aussi comme une berceuse mortelle où il est question de choses qu'Anne désire en rêve mais dont on comprend qu'elles lui sont en réalité inaccessibles : l'introuvable rue de la miséricorde, la tendresse, les vibrations du désir, les bras d'un père qu'on espère protecteur, les lèvres de Marie, et la pitié, oui surtout la pitié... mais il y a aussi cette dangereuse barque prise dans l'obscurité pour affronter la mer...

En fouillant, j'ai lu que c'était "45 Mercy Street", un poème d'Anne Sexton, qui l'avait inspirée. Alors j'ai voulu savoir qui elle était, car si elle avait poussé Peter Gabriel à écrire et chanter, c'était forcément quelqu'un ou une histoire d'importance.

Née en 1928, Anne Sexton a été amenée à l'écriture comme une thérapie à 27 ans, à cause d'une dépression grave. Ses poèmes ont alors renversé les tabous de l'avortement, de la sexualité féminine, de l'adultère... Reconnue aux Etats-Unis comme une poétesse de premier plan, elle a obtenu le prix Pulitzer en 1967. Ce qu'elle n'a pas obtenu, c'est de s'accorder assez de pitié pour continuer à vivre. Elle s'est suicidée à 45 ans. 45 comme le numéro de Mercy Street qu'elle ne parvenait pas à retrouver dans son rêve. C'était en 1974, il y a 45 ans.

Maintenant que je sais un peu qui était Anne Sexton et que le hasard des nombres ou l'ironie des dieux m'ont amené à elle, je voulais vous en parler avec ce portrait et cette traduction française d'un autre de ses poèmes qui dit beaucoup de sa détresse :

Le poète de l'ignorance 
par Anne Sexton

Peut-être que la terre flotte,
Je ne sais pas.
Peut-être que les étoiles sont de petits bouts de papier
Découpés par des ciseaux géants,
Je ne sais pas.
Peut-être que la lune est une larme gelée,
Je ne sais pas.
Peut-être que Dieu n'est qu'une voix grave
entendue par les sourds,
Je ne sais pas.

Je ne suis peut-être personne.
C'est vrai, j'ai un corps
et je ne peux pas y échapper.
Je voudrais sortir de ma tête,
mais c'est hors de question.
C'est écrit sur la tablette du destin
que je suis coincée ici sous cette forme humaine.
Comme c'est le cas
Je voudrais attirer l'attention sur mon problème.

Il y a un animal en moi,
S'agrippant à mon cœur,
un énorme crabe.
Les médecins de Boston
ont levé leurs mains.
Ils ont essayé scalpels,
aiguilles, gaz toxiques et autres.
Le crabe reste.
C'est un grand poids.
J'essaye de l'oublier, vaquer à mes occupations,
cuire des brocolis, ouvrir les livres fermés,
me brosser les dents et lacer mes chaussures.
J'ai essayé la prière
mais quand je prie le crabe serre plus fort
et la douleur augmente.

J'ai fait un rêve une fois,
c'était peut-être un rêve,
que le crabe était mon ignorance de Dieu.
Mais qui suis-je pour croire aux rêves?

Puisque moi aussi j'ignore Dieu, certains mots n'ont aucun sens. J'aimerais pourtant te les dire, Anne,
Paix à ton âme, oui, paix à ton âme."