Le monde d'Oceliann

Le monde d'Oceliann
Tous les jeudis je me rends dans le monde d'Oceliann. Pour y pénétrer je dois suivre un parcours, quelque chose d'un peu compliqué et mystérieux, presque dangereux par endroits initiatique...

D'abord je dois sonner. Par expérience je sais ce que ce geste anodin va provoquer. A l'intérieur, un bruit électrique et affreux, une vrille tympanique, va tétaniser la personne qui me précède et la ferait grincer des dents si mon intrusion acoustique n'était adoucie par la maîtresse du lieu qui va s'excuser gentiment et se lever pour appuyer sur un bouton et libérer l'accès à distance.

Moi je n'entends qu'un léger bourdonnement qui m'indique que je peux pousser une haute et lourde porte en métal. Elle protège de son air sérieux un tout petit jardin, havre de paix au milieu de la ville qui s'énerve, verdure résistante à l'envahisseuse bitumée. Mon regard se perd un instant dans le fouillis végétal car le rectangle vert d'Oceliann n'est pas un jardin à la française. Du moins s'il a été, je crois qu'elle a sagement abandonné l'idée. La nature souhaite reprendre le dessus et, si on l'écoutait, l'homme n'y aurait plus qu'un droit de passage. Mais Oceliann y a quand même défendu un droit de repos en disposant deux fauteuils en rotin et une table basse, à l'ombre.

Sitôt le seuil du jardin franchi, je suis accueilli par une averse très inattendue puisque le ciel est sans nuage... Une pluie miraculeuse ? Non, c'est que la porte de fer vient malicieusement de secouer une branche un peu basse et de lui soustraire quelques gouttes de la dernière rosée. C'est une petite farce du jardin pour me rappeler que je n'ai pas poussé la porte du paradis et que je devrai regarder où je mets les pieds. Il vaut mieux viser les pavés espacés en esquivant quelques feuillages. Je retourne en enfance et je joue à la marelle. Ce n'est pas le paradis mais je dois quand même rejoindre le ciel. .. Ouf ! Gagné !

Je parviens à une vieille porte en bois qui permet d'entrer dans la maison et dont Oceliann a obturé le vitrage par un épais rideau. J'ouvre, la porte grince...


Le monde d'Oceliann

Elle donne brusquement sur un trou gigantesque et noir qui avale ma vision et réveille ma peur. Le gouffre que je ne sais pas fuir m'attend là, il est juste en face de moi. Il m'appelle, il me veut. Je reste figé quelques fractions de seconde, une éternité. Ce n'est bien sûr que le contraste entre la vive clarté du dehors et l'obscurité de l'intérieur qui m'empêche d'y voir. Encore un grand écart difficile à gérer... Et dans l'épaisseur du noir, ces yeux rouges qui m'observent ne sont que le résultat de l'éblouissement à l'envers, qui passe. Enfin je distingue l'escalier à gauche qui tourne au début puis qui monte tout droit. Il est raide, les marches sont hautes. Je le gravis lentement en tenant la rampe afin d'oublier l'idée du vide. Je vais y arriver. J'y arrive. Pour accéder au monde d'Oceliann je dois passer au plus profond du mien et c'est risqué, mais je viens de remporter la deuxième épreuve.

Ma récompense est un palier un peu exigu qui donne sur plusieurs portes fermées et qu'Oceliann a savamment organisé et décoré. Un fauteuil bas m'absorbe tranquillement. En face, un guéridon fragile attend. Posée dessus, une lampe et son abat-jour éclaire doucement l'endroit. Sa lumière se concentre sur une série de petits objets dont je ne suis pas sûr de savoir le nom car je ne cherche ni à les dénombrer ni à les différencier. Ils ne le veulent pas. Ils me fascinent. Ils capturent mon attention, la font passer de l'un à l'autre et l'entraînent avec eux, loin, très loin, tout au fond, car Oceliann, dont j'entends maintenant la voix, est une grande magicienne. Elle connaît les chemins cachés, elle ouvre les passages secrets. Grâce à elle la porte ne va pas rester fermée.

Christian Dehais - Tous droits réservés

Le monde d'Oceliann