Tout ce que je peux dire sur le chemin

Un jour, une amie a eu l'idée de me demander
si j'avais des conseils à lui donner
pour aider sa fille dans son mal-être.
J'ai trouvé que c'était mal me connaître...
Alors que j'aurais pu être flatté
par la sagesse ainsi prêtée,
sa requête m'a mis plutôt en colère,
car elle me paraissait similaire
à solliciter un aveugle des deux yeux
pour savoir comment y voir mieux.
J'ai envisagé une réplique plutôt courte,
et assez sèche sans doute.

Mais, comme les vagues d'un torrent furieux,
comme les rafales d'un vent tempétueux,
les idées ont transformé ma phrase étique
en un discours long, sincère et chaotique.
Bien qu'aujourd'hui soit particulièrement chagrin
et l'avenir obscur, peu désirable et incertain,
même si mes amis me préfèrent loin,
de cette réponse je ne renie rien.
Je la donne à mes enfants et aux gens que j'aime.
Critiquable, ce n'est même pas un vrai poème,
la voici, pleine de défis et d'idéaux,
mais je la préfère avec ses défauts :

"Tout ce que je peux dire,
c'est que s'il s'agit de danser dans ses chaînes, ou de rentrer dans le moule comme le voudrait un système sans âme, alors je n'ai pas l'impression de pouvoir donner la moindre recommandation à mes propres enfants... Et tu veux mes conseils pour le tien ? Alors que je n'ai pas, non plus, été capable de leur indiquer la direction du bonheur ?

Tout ce que je peux dire,
c'est "Ne faites pas comme moi." Et si j'ai fait des choses qui paraissent un peu extraordinaires ou simplement difficiles, c'est qu'en réalité n'importe qui pouvait le faire. Et surtout qu'ils n'essaient pas de m'imiter ou de se mesurer à moi, ça n'en vaut vraiment pas la peine. Ce dont je suis fier, avant tout, c'est d'eux, quoiqu'ils fassent, quoiqu'ils deviennent, et parce qu'ils sont. Oui, ils sont et c'est déjà bien.

Tout ce que je peux dire,
c'est qu'on vit comme si on était éternels, on se croit autorisés à toujours repousser le bonheur à demain, et c'est absurde. Seul le présent existe.  Et dire "à plus tard " c'est toujours prendre un pari risqué sur un avenir qui n'existe pas. Alors "à plus tard... peut-être."

Tout ce que je peux dire,
c'est qu'à vivre comme la foule le veut, dans ce fameux moule, on ne vit pas heureux, et que si c'est le bonheur qu'ils cherchent alors ce n'est ni la bonne manière, ni le bon endroit. C'est bien gentil de se contenter des restes, mais quand il n'y en a jamais eu, ou qu'il n'y a plus rien, je crois qu'il faut hurler.

Tiens, un conseil pour ta fille :  dis-lui de hurler, de taper fort, d'exploser tout ce qui lui pèse. d'envoyer balader la raison et d'écouter ce que réclame son cœur, même s'il en veut beaucoup.

Dis-lui qu'elle fasse ce qu'elle a envie de faire, maintenant, parce que demain n'existe pas, qu'il faut qu'elle ait confiance en elle parce que bien sûr elle le mérite, nous le méritons tous, mais surtout parce qu'elle n'a pas le choix, car au bout du bout, on ne peut compter que sur soi.

Dis-lui d'accepter d'être faible, imparfaite, pour soi ou pour les autres, que ses expériences se terminent bien ou mal, c'est toujours une expérience.

Mais dis-lui surtout de n'accepter que le véritable amour.

Dis-lui aussi que même comme ça, la réalité est parfois insupportable, du fait de l'espace et du temps, et qu'il faudra qu'elle se crée un imaginaire à sa propre dimension.

Dis-lui enfin qu'il faut dire qu'on a mal quand ça fait mal, qu'il faut dire aux gens qu'on aime qu'on les aime, et qu'on est triste et en colère quand on a envie de les voir et qu'on ne peut pas."

Tout ce que je peux dire sur le chemin
"Sur le chemin" - Stylo-bille et aquarelle sur A4 180g